Dans un précédent article, nous avons parlé des finalités de la shari’a. Ici nous allons voir quel est leur lien avec la fatwa.
Définition de la fatwa
Au sens étymologique la fatwa signifie une réponse donnée à une question posée.
Au sens terminologique c’est le fait d’apporter aux gens le statut juridique de la question d’une façon non coercitive. La réponse doit reposer sur l’interprétation des textes et la maîtrise du contexte. (1)
Deux deux types de fatwa
La fatwa explicative
Le savant donne la prescription juridique concernant une question dans le but d’enseigner, de rappeler ou de confirmer une chose.
La fatwa déclarative
Le savant doit statuer sur une situation nouvelle où aucun texte ne se prononce dessus. Il va alors recourir à l’ijtihad (2) qui demande un certain nombre de compétences de la part du savant dont la connaissance profonde de l’objectif majeur des finalités de la shari’a. Il doit maîtriser le contexte économique, social et politique dans lequel vivent les gens. (3).
Selon l’imam al Jurjani, dans son ouvrage “le livre des définitions” Al Ijtihad c’est le fait que le savant fasse tous les efforts pour qu’un jugement personnel portant sur un article de la Loi en découle. (4)
Objectif de cette fatwa
Elle permet de répondre aux besoins des musulmans en prenant en compte le contexte global afin d’apporter des avis juridiques le plus adapté à la situation. Surtout en ce qui concerne les musulmans vivant en terre non musulmane qui rencontrent des situations nouvelles mettant en difficulté leur vie quotidienne et leur pratique religieuse. Le Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche a été créé dans ce but (5).
Méthodologie de la fatwa
De ce fait, le savant doit utiliser une méthodologie précise pour élaborer une fatwa. Par exemple Sheykh al Qaradawi explique que le savant ne doit pas se restreindre à une seule école, il doit puiser dans les sources, comparer les arguments afin de choisir l’avis le plus adapté à la situation, servant au mieux les intérêts de l’individu et les finalités.(6) Utilisant une syntaxe compréhensible de tous touchant à la fois l’élite musulmane et le commun des musulmans. (7)
Citer la sagesse et la raison d’être de chaque prescription afin de dissiper les doutes qu’apportent les personnes influentes de la société. (8) Être dans la voie du juste milieu. (9) Le savant doit également réformer et éduquer les gens, la personne doit comprendre la réponse à travers les argumentations sur lesquels il se base (10).
Le rôle des facteurs d’adaptabilité et de flexibilité de la shari’a dans la fatwa
Les prescriptions générales
Les deux premiers facteurs se rejoignent, ils concernent les prescriptions volontairement non détaillées par le Législateur. Elles sont générales afin de laisser le soin aux savants de chercher à travers l’ijtihad la solution la plus adaptée afin que l’homme ne soit pas restreint à des détails qui ne sont pas en adéquation avec le contexte. Pour cela, ils doivent tenir compte des finalités de la shari’a afin de ne poser aucune gêne à l’individu et à la société. (11).
Les prescriptions amenant à la divergence
La shari’a est flexible par le fait que les Textes peuvent être interprétés de diverses manières amenant des divergences entre les savants pour certaines prescriptions. Ce qui donna naissance à diverses écoles jurisprudentielles. (12). Le musulman a la possibilité de se référer à l’avis qui lui convient le mieux et d’en changer à un moment donné afin d’écarter la gêne qu’il subit.
Des prescriptions exceptionnelles
La shari’a préserve les nécessités par le fait que le Législateur (Allah) ait instauré des prescriptions exceptionnelles en se fondant sur son orientation générale. (13). Des excuses atténuantes comme le fait de ne pas jeûner le mois de Ramadan en cas de maladie ou de voyage. (14). Et des cas particuliers où l’illicite devient licite par nécessité. (15). Dans le but d’apporter la facilité aux individus dans les situations de gêne.
La loi s’adapte à différents paramètres
Le Législateur a créé la shari’a de manière à s’adapter en fonction de l’époque, du contexte, du lieu et de la situation : elle est muable. Une fatwa n’est pas figée dans le temps, elle évolue selon l’évolution de ces divers paramètres. (16). Cela concerne les prescriptions générales comme l’évolution de la fatwa sur la zakat al fitr à l’époque des compagnons où certains savants tel qu’Abou Hanifa ont par la suite autorisé à la payer en argent afin de couvrir tous les besoins de la personne afin qu’il n’y ait pas de mendicité (17).
Les liens existants entre les finalités de la shari’a et l’émission d’une fatwa
Le Prophète (saws) avait recours à l’ijtihad du fait qu’il (saws) restait parfois pendant quelque temps sans recevoir de Révélation. Les compagnons l’utilisaient à l’instar du hadith où le Prophète (saws) envoya Mou’adh ibn Jabal au Yémen. (18). Ash-Shatibi et Mohammed Taher ibn ‘Ashour font de la connaissance des finalités de la shari’a une condition de validité pour effectuer l’ijtihad (19). Les différents outils de l’ijtihad prennent en compte ces finalités.
Le qiyas
Le qiyas (le raisonnement par analogie) telle que la fatwa du Conseil européen autorisant de regrouper la prière du dhohr et de la ‘asr ainsi que celle du maghreb et de la ‘isha en Europe dans le but d’écarter la gêne aux travailleurs, aux étudiants tout au long de l’année, de préserver la religion ainsi que la fraternité (20).
Al maslaha al moursala
Al maslaha al moursala (l’intérêt général indéterminé) comme la décision d’assembler le Coran sous le califat d’Abou Bakr dans l’intérêt général des musulmans et de la religion (21).
Al ijma’
Al ijma’ (le consensus) tel que l’interdiction du mariage avec la grand-mère (22). L’intérêt est temporaire, il peut changer s’il évolue, cela nécessite un nouveau consensus comme l’assemblage du Coran dans un seul corpus qui a été fait une deuxième fois sous le califat de ‘Othman pour préserver la communauté musulmane.
Al istihsan
Al istihsan (le choix préférentiel) qui peut reposer sur l’usage (al’urf), la nécessité (ad-darura) ou sur l’intérêt général (al maslaha). Par exemple la permission de montrer al ‘awra (les parties intimes) au médecin dans le cadre d’un traitement médical. Cette permission a pour objectif de repousser une souffrance médicale et de préserver la vie.
Al ‘urf
Al ’urf (l’usage) comme la fatwa du conseil européen sur l’autorisation du juge non musulman de prononcer le divorce d’un couple musulman dans un pays musulman (23).
Le rôle de certains adages juridiques
Définition
Al qawa’id est le pluriel de al qa’ida qui a pour sens règle de base, principe. (24)
A travers les adages juridiques, les finalités de la shari’a peuvent être mieux appréhendées afin d’accompagner le savant dans sa fatwa en tout temps et en tout lieu (25).
L’adage juridique « la difficulté apporte la facilité »
Si le musulman rencontre une gêne dans l’accomplissement d’un devoir religieux il prend la direction de la souplesse et de la facilité. Le Législateur a instauré des dérogations dans les actes cultuels dans ce but mais il faut distinguer la difficulté habituelle de celle inhabituelle. Ibn al Qayim dit que si c’est une difficulté liée à la fatigue elle est habituelle car « les intérêts relatifs à ce bas monde et à l’au-delà sont liés à la fatigue.” (26)
Exemple de fatwa
La fatwa du conseil européen sur l’autorisation de la prière du vendredi avant le temps légal de la prière du dhohr prend en compte cet adage. (27). Elle a été émise car le système sociétal non musulman apporte une gêne dans l’obligation religieuse, évitant ainsi de mettre en péril la religion faisant partie des nécessités. C’est une prière en commun ayant de nombreux buts dont le renforcement des liens de fraternité, le raffermissement de l’union de la communauté musulmane ainsi que la solidarité qui s’avèrent être des principes fondamentaux à préserver.
Le rôle proprement dit des finalités de la shari’a
La préservation de la vie humaine
Des fatawas illustrent bien les six nécessités à préserver telles que celles de sheykh Youssouf al Qaradawi sur le don d’organe préserve la vie humaine sous certaines conditions comme le fait que cela n’entraîne pas un préjudice pour le donneur ni pour le receveur. (28).
La préservation de la progéniture
La fatwa sur l’interruption de grossesse en cas de nécessité et sous certaines conditions. Il a tenu compte de l’intérêt de l’enfant et de la préservation de sa vie. (29).
La préservation de l’honneur et de la dignité
La fatwa sur le fait d’accuser injustement un homme droit (30). Cette fatwa préserve l’honneur et la dignité de la personne car tout individu qu’il soit musulman ou non, qui est sujet à la calomnie ne doit pas être jugé sans preuve. Comme le dit l’adage juridique « la présomption d’innocence » : tout individu est innocent tant qu’aucune preuve solide prouve l’accusation.
La préservation des biens
La fatwa sur l’interdiction des intérêts bancaires préserve les biens. Il confirme l’interdiction de prendre les intérêts sauf en cas de nécessité imposée à l’individu ou à la société par les circonstances. Les dépenser soi-même n’est pas autorisé, le seul moyen de purifier l’argent est de le donner en aumône aux pauvres, aux structures musulmanes afin que l’essor de la société musulmane se développe davantage (31).
La préservation de la raison
La fatwa sur l’interdiction de la consommation et de la vente des drogues dans le but de préserver la raison, la vie des individus, l’intérêt de la société dans le sens de la protéger de la débauche (32).
La préservation de la religion et de la famille
La fatwa du conseil européen sur le mariage qui reste valide si la femme se convertit à l’Islam et pas l’époux afin de ne pas dissuader la femme de se convertir de peur qu’elle se sépare de son époux et quittera sa famille. L’intérêt de la femme a été pris en compte, la préservation de la religion et de la famille (33).
Lorsque le savant émet une fatwa, il doit prendre en compte les finalités de la shari’a afin de n’imposer aucune gêne. Elles permettent de savoir si l’objectif du Législateur est respecté, elles indiquent le statut de l’acte en question. Le changement de temps, de lieu, d’environnement, de contexte doit être pris dans sa globalité. La shari’a est valable en tout temps et en tout lieu grâce à ses facteurs d’adaptabilité et de flexibilité. Le savant doit penser à l’avenir : est-ce que la fatwa solutionne la situation à l’instant T et sera-t-elle valable dans l’avenir ? Ne va-t-elle pas générer une nuisance au fil du temps ?